N°11 : Au temps du déconfinement: Reprendre, Réapprendre ou Apprendre…

N°11 : Au temps du déconfinement: Reprendre, Réapprendre ou Apprendre…

Continuité d’activités, continuité des soins, continuité pédagogique …” le mot continuité a été entendu depuis le début du confinement comme pour (r)assurer à l’ensemble, à nous la Nation – travailleurs, étudiants, artisans, commerçants ou écoliers – que nous ne perdrions rien pendant le confinement. Les activités dites “essentielles” sont maintenues: pas de pénuries, la solidarité s’est mise en place pour les plus démunis, l’Etat s’engage aussi davantage pour maintenir (vaille que vaille!) l’économie.

Au premier jour du confinement, nous pensions seulement suspendre certaines de nos activités, comme une pause et puis, reprendre, exactement là où nous l’avions laissé: notre travail, nos loisirs, nos hobbies, notre routine quotidienne…

Il en sera autrement…

Le monde qui s’invite désormais à nous a cette nuance de dramatique acquise par l’arrivée, l’irruption d’un nouveau virus. Il y a bien quelque chose de nouveau et il nous faudra, à défaut de “reprendre”, “apprendre” à vivre dans ce nouveau monde.

Les ados d’aujourd’hui seront cette génération qui a connu le confinement, heureux (peut-être) d’apparaître dans les livres d’Histoire de demain!! Ils auront traversé cette épidémie, vu bousculées leurs perspectives et leur scolarité, jouant leur rôle de “héros” en restant à la maison.

Chaque génération s’est vue bousculée par un ou des événements.

Quel est le vôtre? A quel moment votre quotidien ou votre monde a t-il été effracté, intrusé, bousculé: à quel moment avez-vous retenu votre respiration parce que ce que vous entendiez à la radio ou regardiez à la télévision ne vous semblait tout simplement pas réel: le 11 Septembre, les attentats de Charlie Hebdo, …Dans ces moments de vacillements, il nous faut faire “corps”, trouver en nous et en appui avec l’Autre de quoi rester debout.

Devons-nous craindre davantage les jours prochains?

A l’échelle d’un individu, il existe pour lui des faits constitutifs de son histoire mais à l’échelle de l’humanité, des temps ont été bien plus ternes et d’autres bien plus glorieux et prospères. Le progrès nous a guidés vers le “toujours plus”, toujours plus vite, nous sommes toujours à vouloir mettre la main sur notre objet a (Jacques Lacan) c’est à dire sur “ce qui manque, par la faute du langage. Ce manque n’est lui-même pas simple car l’objet manque à la fois dans l’imaginaire, dans le symbolique, dans le réel, aussi bien que dans le nœud qu’ils forment entre eux.” (1)  Il nous manque donc toujours quelque chose. Peut-être nous manquera-t-il encore plus demain mais dans ce manque, un vide se forme et laisse apparaître quelque chose de nous-même : un nouveau désir (pour combler ce nouveau manque).

Peut-être reverrons-nous nos priorités, nos ambitions, nos projets, pour aller “autrement” vers eux, ou pour en trouver de nouveaux. La société se transforme et elle nous transforme: en bien, en mal, en plus écolo, plus volontaire, en plus, en moins… Mais si elle a une action sur nous, nous pouvons aussi avoir une action sur elle.

Cet édito est le dernier de cette série écrite au fil du confinement. Béatrice, Mélanie, Elise et moi vous remercions pour votre lecture attentive, vos réactions et vos commentaires. Nous avons pris la plume, comme à notre habitude, pour mettre en mots et mettre des mots sur ce qui se passait pour nous tous, pour les adolescents, leur famille et pour les professionnels. Nous avons décidé de ne pas lâcher complètement la plume, et continuerons à publier des éditos à un rythme moins fréquent, nos activités au sein du réseau reprenant elles aussi. Nous vous retrouverons très bientôt!


Nathalie Reymond-Babolat
Psychologue clinicienne,
D-Clic Arpège, Maison Des Adolescents du Gard.


(1) Soler Colette, « L’objet a de Lacan, ses usages », Champ lacanien, 2007/1 (N° 5), p. 77-84. DOI : 10.3917/chla.005.0077. URL : https://www.cairn.info/revue-l-objet-a-de-lacan-2007-1-page-77.htm


N°10 : Et la vie continue…Une maison d’enfants confinée.

N°10 : Et la vie continue…Une maison d’enfants confinée.
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Dans la lignée des articles parus, le dispositif Arpège maintient son soutien et son accompagnement auprès des professionnels. C’est dans ce contexte qu’il nous est apparu intéressant de pouvoir interroger des professionnels de maison d’enfants qui vivent aussi cette période de confinement. La Maison d’Enfants Paul Rabaut a accepté de se prêter à l’exercice.

Nous avons donc rencontré la Cheffe de Service ainsi que l’Educatrice Coordinatrice afin d’en savoir un peu plus sur ce que ce confinement a généré sur leur pratique.

En rentrant dans les locaux, c’est une sensation étrange de coupure entre le monde extérieur et cet endroit. Comme ci le virus, ici, n’existait pas, qu’il ne pouvait pas les atteindre. Les enfants jouent, les adolescents sont assis au soleil, sur les bancs, les éducateurs s’activent autour d’eux pour leur proposer des temps de partage et de convivialité. La salle d’activité autrefois investie sur des temps définis est remplie d’ateliers différents : des ateliers esthétiques, de peinture, de création et des jeux de société.

La vie continue ici, pour ces enfants qui ne peuvent pas rentrer au sein du domicile familial, c’est dans ces murs qu’ils passent leur quotidien. Ils sont confinés à 27, sans compter les adultes qui les entourent.

            « La cohésion sociale est due en grande partie à la nécessité pour une société de se défendre contre d’autres. »Henri Bergson

Henri Bergson

Lors de l’annonce du confinement, les enfants prennent la mesure de la gravité de la situation – ils évoquent souvent ce moment où le Président, lors de son allocution officielle, aborde la fermeture des écoles – une grande majorité d’entre eux font éclater leur joie, les autres prennent conscience d’un autre monde qui débute.

Rapidement, c’est tout un système qu’il faut alors repenser, le quotidien en est chamboulé. Les services de l’institution se sont réorganisés, chacun de façon autonome et recentré. Les plannings des professionnels sont modifiés afin de pouvoir effectuer un même taux d’encadrement avec moins de professionnels présents, les achats d’activités manuelles et alimentaires sont effectués pour occuper les enfants et pallier aux moments plus difficiles. C’est le terme de cohésion qui reviendra fréquemment dans les échanges, entre les enfants, entre les professionnels et entre tous, présents sur place.

Un nouveau quotidien débute, les éducateurs font front commun, ils sont tous présents, aménagent leur temps de travail et souhaitent entourer les enfants dans ces moments qu’ils projettent difficiles pour eux. Les écrits sont plus rares, moins événementiels et se concentrent sur les fins de mesures. Le temps éducatif est, principalement, du temps d’animation, de gestion du quotidien et dans le lien. La Cheffe de Service constate que certains se découvrent dans une fonction qu’ils avaient délaissée, par manque de temps, que d’autres sont moins à l’aise, quand certains voudraient que ce temps ne cesse plus. Ils refusent la possibilité d’une expérience douloureuse pour les jeunes accueillis, alors, de façon collective, ils repensent les pièces de la Maison d’Enfants pour leur proposer des espaces disponibles et ouverts à chaque instant de la journée. Un lieu dans lequel ils peuvent effectuer une activité manuelle, se retrouver pour discuter avec des éducateurs, entre enfants, regarder la télévision, ou juste observer les mouvements internes à l’institution. L’accompagnement des professionnels de l’EPI (l’Espace Pédagogique et d’Insertion) permet de rythmer leur journée avec des temps scolaires dédiés et adaptés à chaque enfant. Ils font le lien avec les professeurs qui ont maintenu les contacts avec leurs élèves.

La cour de l’institution est occupée pour danser, se réunir, prendre l’air ou partager sur/sous/à côté d’un banc les dernières actualités de chacun. L’ouverture de ces espaces a grandement modifié les liens. Les enfants ont apprécié les propositions d’activités qui venaient remplir leur journée lorsqu’ils en avaient besoin, les confidences et échanges entre eux et avec les adultes ont été plus fréquents et plus apaisés. La disponibilité physique et psychique des professionnels a permis d’adoucir le quotidien, de le rendre plus tranquille. « En ce moment on constate vraiment une liberté de paroles impressionnante (…). Ils parlent d’eux de façon plus libérée, avec beaucoup moins de filtres, ça a modifié les rapports entre tous, ils ont une totale confiance. On a parfois la sensation de vivre dans une grande famille : tout peut circuler. C’est aussi un point négatif puisqu’il faut rester vigilant, ça n’est pas toujours adapté au sein du groupe. »

Si les modifications internes ont préservé le collectif, il est constaté que la distanciation sociale a aussi permis d’apaiser les enfants placés, pour une majorité d’entre eux. Les visites médiatisées, les droits d’hébergements au domicile familial sont impossibles, les liens sont maintenus mais distendus. Les problématiques intrafamiliales demeurent donc à distance. Le manque des proches est présent pour les enfants, cependant les conflits sont amenuisés par la réduction des contacts et de messages qui pourraient les mettre à mal.

Aussi la sphère scolaire, bien qu’elle représente un endroit de socialisation, peut aussi être anxiogène. Ces anxiétés liées à la performance, aux contacts de proximité de leurs pairs ou à la confrontation de leurs difficultés d’apprentissages sont, par conséquent, abrogées de par la fermeture de leur institution scolaire. La présence des professionnels de l’EPI, permet d’accompagner les enfants dans un rythme plus adapté à leurs besoins et dans des groupes restreints. Quant aux adolescents qui sont dans des moments d’orientation ou à l’arrêt concernant leur insertion, ce confinement leur a permis de prendre du temps et du recul sur leur projection, ou d’en construire une. Certains d’entre eux ont profité de ces moments pour solliciter davantage d’entretiens avec la psychologue de l’institution.

Et Après ?

Le déconfinement est abordé de façon moins enjoué, comme s’il marquerait un arrêt à tout ce fonctionnement solidaire et en vase clos. Pour la suite, ce que les professionnels souhaitent maintenir c’est l’ouverture au sein de l’institution, de ces espaces, de ces déplacements, afin que ces liens, qu’ils ont la sensation d’avoir renforcé, ne se fragilisent plus. Cette période tant redoutée leur a semblé positive dans l’apprentissage de leur métier, autrement, et au plus près des enfants. « Le constat est unanime pour l’équipe éducative le confinement aura donné quelque chose de très positif, dans la manière de percevoir les jeunes, de les accompagner, de les comprendre et de les connaitre vraiment, c’est ultra positif pour nous ».


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Mélanie Magnin
Psychologue clinicienne,
Spécialisée en psycho-criminologie et victimologie


Réouverture au public !

Chers adolescents, parents, partenaires,

Nous espérons que vous allez bien. Vous nous avez manqué !

Mais désormais, toute l’équipe de la Maison Des Adolescents du Gard est heureuse de vous annoncer qu’elle peut à nouveau vous accueillir sur le site du 34 ter rue Florian, et cela dès ce lundi 18 mai 🙂

Bien sûr, les conditions sont aménagées, et de la même manière que vous les trouvez dans d’autres lieux, certaines contraintes s’appliquent, et vous seront rappelées sur site (port du masque, distance entre les personnes).
En cas de besoin, nous pourrons vous fournir un masque jetable à votre arrivée, pour le temps de votre rendez-vous, ainsi que du gel pour vous lavez les mains.

Pour le moment, notez simplement que la MDA est ouverte au public, mais sur RENDEZ-VOUS uniquement, du lundi au vendredi, de 10h à 12h et de 13h à 17h. Les ateliers ne peuvent pas encore reprendre.

Durant ces horaires, vous pouvez donc prendre rendez-vous comme d’habitude par téléphone, au 04.66.05.23.46, pour venir à la MDA rencontrer un professionnel, ou même pour demander un rendez-vous à distance (téléphone, visio).

Évidemment, la messagerie dédiée sur le site, active durant toute cette période, reste toujours disponible pour nous joindre 24h/24, avec une réponse rapide.

En espérant vous voir sur place au plus vite.

N°9 : Confinement des acteurs : un déplacement des organisations au service de l’innovation.

Faire de la contrainte une opportunité, c’est la proposition, formulée ou non, qui sera faite à l’adolescent dit « sous-main de justice » quand il entre dans un service éducatif de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

C’est la proposition à celui qui n’a pas choisi d’être là et c’est la meilleure, la seule lui permettant de « reprendre la main ». On ne lui dira pas tout de suite que, pour transformer la situation contrainte en opportunité, il faut accepter la rencontre, trop inquiétant. On ne lui dira pas tout de suite que la proposition, c’est la rencontre.

C’est un exercice coûteux pour l’adolescent et c’est un pari. Tout l’enjeu du travail éducatif sera qu’il en pressente les bénéfices plus que les coûts et qu’ainsi il ne renonce pas à l’exercice de ses capacités d’action, pour, lassé par l’effort consenti, retourner au rôle qu’il connaît comme s’il lui était prescrit.

A l’échelle des institutions éducatives aussi, le contexte actuel entre missions prioritaires, continuité d’action des services publics et crise sanitaire permet de revenir sur le concept d’acteur, ni libre ni prisonnier par rapport aux contraintes mais exerçant une influence au sein de modes d’organisation bouleversés. Aujourd’hui personne ne peut contrôler une certaine forme de tumulte, l’ensemble organisé devient mobile et les acteurs appelés parfois à occuper d’autres places, inhabituelles pour eux. Alors, dans cette expérience qui bouleverse le cadre habituel du travail « les acteurs choisissent parfois d’agir et parfois de tenir leurs rôles » Norbert ALTER l’innovation ordinaire, PUF, 2000.

Quoi qu’il en soit cette situation singulière ouvre des questions qui, si elles ne sont pas nouvelles dans les organisations de travail, deviennent incontournables et nécessitent qu’on s’y attache. Pour exemple, comment travailler tous ensemble sans être toujours tous là ? Les outils de communication actuels, si précieux à l’heure du télétravail, ne couvrent pas le champ de la question, bien plus vaste, qui est celui de la transmission dans les équipes au travail.

Dès lors le contexte actuel d’incertitude favorise t’il une logique d’innovation ? Innovation au sens d’un processus qui donnerait lieu à de nouvelles pratiques, permettant d’imaginer de nouveaux accords, d’élaborer de nouveaux projets, de se mobiliser autrement, mieux ?


Elise TIXIER
Educatrice STEMO de Nîmes


N°8 : D’un confinement à l’Autre.

N°8 : D’un confinement à l’Autre.

Le lundi 16 Mars a été annoncée la mise en place d’une mesure sanitaire exceptionnelle: le confinement de la population nationale. Mais de quoi s’agit-il réellement? Au delà des explications scientifiques, médicales et préventives, il s’agit d’une manière d’être au monde et d’être en rapport avec le monde: de plus loin (distanciation sociale), de beaucoup plus loin!

Pour certains, le choc est brutal, le quotidien est bouleversé. On est comme censuré, les interdits et les limitations se multiplient: on ne peut plus aller au travail, au Collège, au restaurant, au cinéma, au tennis, on ne peut plus sortir en randonnée, faire du vélo, on ne ne peut plus voir ses amis, on ne peut plus jusqu’à toucher ou être touché…

Mais nous aurions tort de croire que tous ont été bouleversés par cette annonce: le monde rural a, sur l’urbain, une avance considérable en cela qu’il est déjà habitué à “être” loin”, loin des cinémas, des restaurants, des courts de tennis. N’avons- nous pas assisté à un départ massif des urbains pour gagner d’autres territoires où “être confiné” s’inscrit plus facilement dans les habitudes de vie?

D’autres espaces ont aussi échappé (en partie) à la sévérité de la mise en confinement: les lieux de privation ou de limitation des libertés: hospitalisé, placé, confiné: une même tendance se dessine.

Peut-être même que l’un protège de l’autre? D’un confinement à un autre…

Par exemple, il nous est rapporté que les adolescents hospitalisés “ne disent rien de cette barrière (masque) ni même de la situation exceptionnelle que nous vivons tous.” Il est plus facile d’accepter un cadre qui change peu qu’un cadre qui change tout!! L’ennui est plus prégnant car les médiations thérapeutiques occupaient un temps qui devient vide.

La majorité d’entre eux semble “coincés” dans un ici et maintenant où leur problématique est au centre ” je sors quand de la chambre d’isolement?”, “va t’on me mettre une sonde si je perds encore du poids?“, “je veux voir ma mère tout de suite!” parce que l’adolescent est autocentré et ne se projette qu’à très court terme: il revendique et réclame ce dont il a besoin maintenant, il énonce ce qu’il craint maintenant!

Pourquoi un tel détachement entre son contexte personnel et le contexte national? Est-ce l’instinct de préservation, est-ce du déni, le fait d’une limite cognitive, ou l’exigence sanitaire devient-elle une préoccupation secondaire, une préoccupation “de l’après” qui n’a pas sa place dans l’ici et maintenant….dans ce lieu, déjà, de confinement?

L’adolescent est aussi à la recherche d’une justice et d’une égalité de tous alors lorsqu’on lui impose à lui comme à tous les autres les mêmes règles, il s’inclut dans un collectif plus grand et accepte, pour lui, l’effort demandé.

Les témoignages sont nombreux pour tenter de décrire, partager et peut-être laisser une trace de cette expérience.

Du côté des professionnels:

  • Il y a ceux “rentrés chez eux” pris dans le paradoxe du temps et de l’espace: être chez soi (sans préparation, sans matériel) dans le cadre confortable de son espace privé et continuer à répondre aux exigences professionnelles, au besoin de communication, de connexion, aux projets et aux comptes rendus à rédiger…. Devenir maître de son temps et le laisser nous échapper, nécessitant mille autres tâches inhérentes à notre présence dans notre espace privé : nos enfants, les courses, la toiture qui fuit…

Le cadre dans lequel et avec lequel nous travaillons n’est pas simple à faire émerger dans notre espace privé. Pour autant, nous aurons tous trouvé une issue : une pièce pour “nous” (jusqu’à se retrouver dans la salle de bain), un moment pour travailler (sieste des enfants,…) et il sera apparu avec autant de spontanéité l’acceptation de l’irruption de ce monde dans ce champ (de vision…) professionnel: la voix des enfants, la connexion interrompue, etc…

Nous nous sommes heurtés aux limites du télétravail (visioconférence sans micro!!) et avons pu en tirer des leçons, nous savons dorénavant ce qu’il nous est possible de faire et dans quelles conditions.

Les modalités de travail ont dû se transformer, démontrant efficience et limite.

  • Il y a ceux “réquisitionnés” qui ont dû continuer à se rendre sur leur lieu de travail ou parfois intégrer un autre établissement parce que le public (enfants placés, adolescents hospitalisés, adultes en situation de handicap), n’avait pu rejoindre leur domicile. Le paradoxe est autre : prendre un risque pour prendre soin?  Sujet du prochain édito!

Nathalie Reymond-Babolat
Psychologue clinicienne,
D-Clic Arpège, Maison Des Adolescents du Gard.


N°7 : Réussissez (à rater) votre confinement !!!

« Notre monde, bien près d’être submergé par le raz de marée des conseils prodigués par d’innombrables manuels et guides consacrés à la poursuite du bonheur, ne doit plus se voir refuser la bouée de sauvetage dont il a tant besoin. La connaissance des mécanismes et des processus produisant le malheur doit cesser d’être un secret jalousement gardé par la psychiatrie et la psychologie. »

Paul Watzlawick

Vous aussi vous l’avez remarqué ? Depuis le 16 mars dernier ont fleuri sur les réseaux sociaux conseils et vidéos en tout genre « spécial confinement », nous soumettant tantôt aux dernières recettes tendances (vous ne faites pas encore votre pain/brioche/pizza maison ? les ventes de farine ont explosé), tantôt aux cours online de gym  (revenez en forme au bureau, malgré les quantités de pain/brioche/pizza que vous aurez avalé) ou de yoga, méditation,… (relaxez-vous, mais si si, vous verrez, c’est pour votre bien…). Quand on ne compte pas avec cette pléthore de conférences en ligne sur toutes sortes de sujets…Bref, de ce temps entre parenthèses, il faudrait en ressortir plein.

Or, le confinement est en premier lieu un exercice qui nous est imposé, vide et plein s’entremêlent et se conjuguent au quotidien. Vidé de nos relations professionnelles, sociales, amicales, familiales quand on ne vit pas avec nos proches, ce temps a dû s’organiser dans une certaine précipitation, et dans l’incertitude quant à sa fin.

Aucun parent n’avait imaginé, dans une même unité de lieu -notre domicile- d’avoir à occuper ses fonctions parentales et conjugales à temps plein. Pour le meilleur et pour le pire, aviez-vous juré… Ajoutez, dans ce même espace, des fonctions professionnelles que vous n’aviez jamais exercées à votre domicile, voire des fonctions professorales auprès de vos enfants (vous n’aviez jamais imaginé que vous alliez devoir apprendre à votre enfant à lire, ou à votre ado à résoudre une fonction du second degré? ah bon). Et comptez avec tout cela la routine du domicile ; la cuisine et la buanderie ne sont pas mises en quarantaine, elles. Shiva elle-même n’aurait pas assez eu de bras (et de cerveaux !) pour tout gérer.

De même, aucun adolescent n’aurait pu raisonnablement imaginer vivre deux mois durant sans ses copains, son club de sport, son  bahut,…  bref, sans autre lien social IRL quesa famille nucléaire.

La famille est ainsi devenue une entité où plus rien – ou presque- n’entre ni ne sort, laissant ainsi la part belle aux médias (télé, réseaux sociaux) au sein du foyer. Cette situation, inédite, s’avère propice à l’émergence d’émotions diverses.

Dans un premier temps, c’est comme si les émotions liées à cette situation avaient été occultées. Or, comme l’a rappelé Boris Cyrulnik, le confinement « est une forme d’agression psychologique, et neurologique. On n’est pas fait pour vivre seul. On peut parfois s’isoler de la société, et se reposer quand on a été trop stimulé. Mais ce n’est pas le confinement. »

Pourtant peu de littérature est apparue sur le fait qu’éprouver toute une palette d’émotions allant de la joie à la tristesse en passant par l’anxiété était de l’ordre de la normalité. Il est normal d’avoir ressenti à certains moments de l’euphorie d’être chez soi, avec ses proches, sortis de notre quotidien, il est normal d’avoir ressenti des moments de repli sur soi, normal de s’être senti angoissé par les informations et le contexte général.

Les émotions, bonnes ou mauvaises, font partie de toute vie humaine normale.

Les seuls s’étant emparés dès le départ  de ces questions d’émotions liées au confinement étaient ceux qui y sont confrontés dans leurs formes les plus extrêmes, ou pathologiques : plateformes de services de santé mentale, de lutte contre les violences conjugales, etc.

Ce qui n’est pas normal, c’est de perdre toute liberté vis-à-vis de nos ressentis, les laisser nous submerger durablement  sans plus avoir aucune prise dessus.

Or, cette période particulière a vu apparaître des épisodes de violences, en famille ou en institution, chez des personnes et des professionnels pour qui la violence n’a habituellement pas cours. Faisons l’hypothèse que bon nombre de ces personnes se sont retrouvées face à des situations de contraintes et d’injonctions paradoxales, matérielles et émotionnelles, sans pouvoir se décaler et en dire quelque chose, exprimer la position inconfortable, voire impossible dans lesquelles toutes ces contraintes les mettaient.

Alors…N’essayons pas de maîtriser l’immaîtrisable, lâchons ce qui n’est pas essentiel à notre survie physique et psychique de cette situation que nous n’avons ni souhaitée ni anticipée. Nous reviendrons peut-être au travail sans avoir rempli tous nos objectifs, au bahut sans maîtriser les équations du second degré. Nous aurons pris cinq kilos, alors que nous n’aurons même pas trouvé le temps d’essayer de faire notre pain. Nous n’aurons jamais dépassé la seconde séance de ce MOOC si prometteur.

Parlons-nous en notre fort intérieur de ce qui nous coince, parlons-en à notre entourage, partageons nos émotions et aidons nos plus jeunes à mettre des mots sur les leurs, sans les angoisser. Ces paroles seront soutenantes de l’ « après ».


Béatrice Delpont
Psychologue clinicienne,
D-Clic Arpège, Maison Des Adolescents du Gard.


Pour aller plus loin :

https://www.franceinter.fr/societe/boris-cyrulnik-on-a-oublie-qu-on-appartenait-au-monde-vivant

Et pour rire sur le sujet : « Faites vous-même votre malheur » de Paul Watzlawick, Editions du Seuil, 1984.