N°7 : Réussissez (à rater) votre confinement !!!

« Notre monde, bien près d’être submergé par le raz de marée des conseils prodigués par d’innombrables manuels et guides consacrés à la poursuite du bonheur, ne doit plus se voir refuser la bouée de sauvetage dont il a tant besoin. La connaissance des mécanismes et des processus produisant le malheur doit cesser d’être un secret jalousement gardé par la psychiatrie et la psychologie. »

Paul Watzlawick

Vous aussi vous l’avez remarqué ? Depuis le 16 mars dernier ont fleuri sur les réseaux sociaux conseils et vidéos en tout genre « spécial confinement », nous soumettant tantôt aux dernières recettes tendances (vous ne faites pas encore votre pain/brioche/pizza maison ? les ventes de farine ont explosé), tantôt aux cours online de gym  (revenez en forme au bureau, malgré les quantités de pain/brioche/pizza que vous aurez avalé) ou de yoga, méditation,… (relaxez-vous, mais si si, vous verrez, c’est pour votre bien…). Quand on ne compte pas avec cette pléthore de conférences en ligne sur toutes sortes de sujets…Bref, de ce temps entre parenthèses, il faudrait en ressortir plein.

Or, le confinement est en premier lieu un exercice qui nous est imposé, vide et plein s’entremêlent et se conjuguent au quotidien. Vidé de nos relations professionnelles, sociales, amicales, familiales quand on ne vit pas avec nos proches, ce temps a dû s’organiser dans une certaine précipitation, et dans l’incertitude quant à sa fin.

Aucun parent n’avait imaginé, dans une même unité de lieu -notre domicile- d’avoir à occuper ses fonctions parentales et conjugales à temps plein. Pour le meilleur et pour le pire, aviez-vous juré… Ajoutez, dans ce même espace, des fonctions professionnelles que vous n’aviez jamais exercées à votre domicile, voire des fonctions professorales auprès de vos enfants (vous n’aviez jamais imaginé que vous alliez devoir apprendre à votre enfant à lire, ou à votre ado à résoudre une fonction du second degré? ah bon). Et comptez avec tout cela la routine du domicile ; la cuisine et la buanderie ne sont pas mises en quarantaine, elles. Shiva elle-même n’aurait pas assez eu de bras (et de cerveaux !) pour tout gérer.

De même, aucun adolescent n’aurait pu raisonnablement imaginer vivre deux mois durant sans ses copains, son club de sport, son  bahut,…  bref, sans autre lien social IRL quesa famille nucléaire.

La famille est ainsi devenue une entité où plus rien – ou presque- n’entre ni ne sort, laissant ainsi la part belle aux médias (télé, réseaux sociaux) au sein du foyer. Cette situation, inédite, s’avère propice à l’émergence d’émotions diverses.

Dans un premier temps, c’est comme si les émotions liées à cette situation avaient été occultées. Or, comme l’a rappelé Boris Cyrulnik, le confinement « est une forme d’agression psychologique, et neurologique. On n’est pas fait pour vivre seul. On peut parfois s’isoler de la société, et se reposer quand on a été trop stimulé. Mais ce n’est pas le confinement. »

Pourtant peu de littérature est apparue sur le fait qu’éprouver toute une palette d’émotions allant de la joie à la tristesse en passant par l’anxiété était de l’ordre de la normalité. Il est normal d’avoir ressenti à certains moments de l’euphorie d’être chez soi, avec ses proches, sortis de notre quotidien, il est normal d’avoir ressenti des moments de repli sur soi, normal de s’être senti angoissé par les informations et le contexte général.

Les émotions, bonnes ou mauvaises, font partie de toute vie humaine normale.

Les seuls s’étant emparés dès le départ  de ces questions d’émotions liées au confinement étaient ceux qui y sont confrontés dans leurs formes les plus extrêmes, ou pathologiques : plateformes de services de santé mentale, de lutte contre les violences conjugales, etc.

Ce qui n’est pas normal, c’est de perdre toute liberté vis-à-vis de nos ressentis, les laisser nous submerger durablement  sans plus avoir aucune prise dessus.

Or, cette période particulière a vu apparaître des épisodes de violences, en famille ou en institution, chez des personnes et des professionnels pour qui la violence n’a habituellement pas cours. Faisons l’hypothèse que bon nombre de ces personnes se sont retrouvées face à des situations de contraintes et d’injonctions paradoxales, matérielles et émotionnelles, sans pouvoir se décaler et en dire quelque chose, exprimer la position inconfortable, voire impossible dans lesquelles toutes ces contraintes les mettaient.

Alors…N’essayons pas de maîtriser l’immaîtrisable, lâchons ce qui n’est pas essentiel à notre survie physique et psychique de cette situation que nous n’avons ni souhaitée ni anticipée. Nous reviendrons peut-être au travail sans avoir rempli tous nos objectifs, au bahut sans maîtriser les équations du second degré. Nous aurons pris cinq kilos, alors que nous n’aurons même pas trouvé le temps d’essayer de faire notre pain. Nous n’aurons jamais dépassé la seconde séance de ce MOOC si prometteur.

Parlons-nous en notre fort intérieur de ce qui nous coince, parlons-en à notre entourage, partageons nos émotions et aidons nos plus jeunes à mettre des mots sur les leurs, sans les angoisser. Ces paroles seront soutenantes de l’ « après ».


Béatrice Delpont
Psychologue clinicienne,
D-Clic Arpège, Maison Des Adolescents du Gard.


Pour aller plus loin :

https://www.franceinter.fr/societe/boris-cyrulnik-on-a-oublie-qu-on-appartenait-au-monde-vivant

Et pour rire sur le sujet : « Faites vous-même votre malheur » de Paul Watzlawick, Editions du Seuil, 1984.


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