Dans la lignée des articles parus, le dispositif Arpège maintient son soutien et son accompagnement auprès des professionnels. C’est dans ce contexte qu’il nous est apparu intéressant de pouvoir interroger des professionnels de maison d’enfants qui vivent aussi cette période de confinement. La Maison d’Enfants Paul Rabaut a accepté de se prêter à l’exercice.
Nous avons donc rencontré la Cheffe de Service ainsi que l’Educatrice Coordinatrice afin d’en savoir un peu plus sur ce que ce confinement a généré sur leur pratique.
En rentrant dans les locaux, c’est une sensation étrange de coupure entre le monde extérieur et cet endroit. Comme ci le virus, ici, n’existait pas, qu’il ne pouvait pas les atteindre. Les enfants jouent, les adolescents sont assis au soleil, sur les bancs, les éducateurs s’activent autour d’eux pour leur proposer des temps de partage et de convivialité. La salle d’activité autrefois investie sur des temps définis est remplie d’ateliers différents : des ateliers esthétiques, de peinture, de création et des jeux de société.
La vie continue ici, pour ces enfants qui ne peuvent pas rentrer au sein du domicile familial, c’est dans ces murs qu’ils passent leur quotidien. Ils sont confinés à 27, sans compter les adultes qui les entourent.
« La cohésion sociale est due en grande partie à la nécessité pour une société de se défendre contre d’autres. »Henri Bergson
Henri Bergson
Lors de l’annonce du confinement, les enfants prennent la mesure de la gravité de la situation – ils évoquent souvent ce moment où le Président, lors de son allocution officielle, aborde la fermeture des écoles – une grande majorité d’entre eux font éclater leur joie, les autres prennent conscience d’un autre monde qui débute.
Rapidement, c’est tout un système qu’il faut alors repenser, le quotidien en est chamboulé. Les services de l’institution se sont réorganisés, chacun de façon autonome et recentré. Les plannings des professionnels sont modifiés afin de pouvoir effectuer un même taux d’encadrement avec moins de professionnels présents, les achats d’activités manuelles et alimentaires sont effectués pour occuper les enfants et pallier aux moments plus difficiles. C’est le terme de cohésion qui reviendra fréquemment dans les échanges, entre les enfants, entre les professionnels et entre tous, présents sur place.
Un nouveau quotidien débute, les éducateurs font front commun, ils sont tous présents, aménagent leur temps de travail et souhaitent entourer les enfants dans ces moments qu’ils projettent difficiles pour eux. Les écrits sont plus rares, moins événementiels et se concentrent sur les fins de mesures. Le temps éducatif est, principalement, du temps d’animation, de gestion du quotidien et dans le lien. La Cheffe de Service constate que certains se découvrent dans une fonction qu’ils avaient délaissée, par manque de temps, que d’autres sont moins à l’aise, quand certains voudraient que ce temps ne cesse plus. Ils refusent la possibilité d’une expérience douloureuse pour les jeunes accueillis, alors, de façon collective, ils repensent les pièces de la Maison d’Enfants pour leur proposer des espaces disponibles et ouverts à chaque instant de la journée. Un lieu dans lequel ils peuvent effectuer une activité manuelle, se retrouver pour discuter avec des éducateurs, entre enfants, regarder la télévision, ou juste observer les mouvements internes à l’institution. L’accompagnement des professionnels de l’EPI (l’Espace Pédagogique et d’Insertion) permet de rythmer leur journée avec des temps scolaires dédiés et adaptés à chaque enfant. Ils font le lien avec les professeurs qui ont maintenu les contacts avec leurs élèves.
La cour de l’institution est occupée pour danser, se réunir, prendre l’air ou partager sur/sous/à côté d’un banc les dernières actualités de chacun. L’ouverture de ces espaces a grandement modifié les liens. Les enfants ont apprécié les propositions d’activités qui venaient remplir leur journée lorsqu’ils en avaient besoin, les confidences et échanges entre eux et avec les adultes ont été plus fréquents et plus apaisés. La disponibilité physique et psychique des professionnels a permis d’adoucir le quotidien, de le rendre plus tranquille. « En ce moment on constate vraiment une liberté de paroles impressionnante (…). Ils parlent d’eux de façon plus libérée, avec beaucoup moins de filtres, ça a modifié les rapports entre tous, ils ont une totale confiance. On a parfois la sensation de vivre dans une grande famille : tout peut circuler. C’est aussi un point négatif puisqu’il faut rester vigilant, ça n’est pas toujours adapté au sein du groupe. »
Si les modifications internes ont préservé le collectif, il est constaté que la distanciation sociale a aussi permis d’apaiser les enfants placés, pour une majorité d’entre eux. Les visites médiatisées, les droits d’hébergements au domicile familial sont impossibles, les liens sont maintenus mais distendus. Les problématiques intrafamiliales demeurent donc à distance. Le manque des proches est présent pour les enfants, cependant les conflits sont amenuisés par la réduction des contacts et de messages qui pourraient les mettre à mal.
Aussi la sphère scolaire, bien qu’elle représente un endroit de socialisation, peut aussi être anxiogène. Ces anxiétés liées à la performance, aux contacts de proximité de leurs pairs ou à la confrontation de leurs difficultés d’apprentissages sont, par conséquent, abrogées de par la fermeture de leur institution scolaire. La présence des professionnels de l’EPI, permet d’accompagner les enfants dans un rythme plus adapté à leurs besoins et dans des groupes restreints. Quant aux adolescents qui sont dans des moments d’orientation ou à l’arrêt concernant leur insertion, ce confinement leur a permis de prendre du temps et du recul sur leur projection, ou d’en construire une. Certains d’entre eux ont profité de ces moments pour solliciter davantage d’entretiens avec la psychologue de l’institution.
Et Après ?
Le déconfinement est abordé de façon moins enjoué, comme s’il marquerait un arrêt à tout ce fonctionnement solidaire et en vase clos. Pour la suite, ce que les professionnels souhaitent maintenir c’est l’ouverture au sein de l’institution, de ces espaces, de ces déplacements, afin que ces liens, qu’ils ont la sensation d’avoir renforcé, ne se fragilisent plus. Cette période tant redoutée leur a semblé positive dans l’apprentissage de leur métier, autrement, et au plus près des enfants. « Le constat est unanime pour l’équipe éducative le confinement aura donné quelque chose de très positif, dans la manière de percevoir les jeunes, de les accompagner, de les comprendre et de les connaitre vraiment, c’est ultra positif pour nous ».
Mélanie Magnin
Psychologue clinicienne,
Spécialisée en psycho-criminologie et victimologie